Pour une surveillance obligatoire des travaux
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POUR UNE SURVEILLANCE OBLIGATOIRE DES TRAVAUX DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE, IL Y A URGENCE!
Ce n’est pas d’hier que l’on affirme que le Québec est une société distincte. La mention se veut souvent avantageuse, mais ce n’est pas le cas lorsqu’on aborde la surveillance des chantiers de construction résidentielle.
Par Yves JOLI-COEUR ET Richard LECOUFFE
En cette matière, le Québec fait piètre figure, par rapport aux autres provinces canadiennes, notamment l’Ontario où les chantiers de construction résidentielle doivent faire l’objet d’inspections systématiques, à diverses étapes cruciales, depuis des décennies.
Au Québec, il aura fallu que surviennent deux tragédies pour que les choses bougent un peu : l’effondrement d’une dalle de garage étagé résidentiel à Ville Saint-Laurent, en 2008, et le détachement d’un panneau de béton, du 18e étage d’un immeuble au centre-ville de Montréal, en 2009, causant chacun un décès. Des mesures de vérifications périodiques et un programme d’entretien des dalles de garage et des façades d’immeubles comptant cinq étages et plus furent donc adoptés, en mars 2013. On les retrouve au chapitre Bâtiment du Code de sécurité.
Or, dès novembre 2010, le coroner présidant le dossier des façades avait aussi recommandé dans son rapport de rendre obligatoire la surveillance des travaux de construction, pour les immeubles construits en hauteur, à titre de prolongement du travail de conception des professionnels. Il recommandait également que cette surveillance obligatoire soit inscrite dans la Loi sur les ingénieurs et la Loi sur les architectes. Ces recommandations sont demeurées lettre morte jusqu’à ce jour.
Les vices et défauts en construction résidentielle n’entraînent pas tous des décès tragiques, cela va de soi, puisqu’on ne relate que ces deux décès accidentels, au cours des dernières années. On ne peut toutefois ignorer les ennuis de santé qui sont occasionnés par une construction déficiente ou non conforme des bâtiments (infiltrations d’eau suivies de moisissures, propagation de fumée de cigarette en raison d’une ventilation insuffisante ou inadéquate, mauvaise qualité de l’air, faible insonorisation ou vibrations perturbant le sommeil, etc.).
L’impact économique de ces vices de construction frappe des milliers de consommateurs immobiliers qui doivent assumer les coûts des réparations ou des poursuites contre les entrepreneurs, sans oublier les pertes de productivité liées à ces « tracasseries » et l’énergie qu’ils doivent consacrer à ces dossiers. Ajoutons à cela les hausses de primes et de franchises que les assureurs exigent aux syndicats de copropriétaires, en raison de la mauvaise qualité de la construction. Il est pourtant facile de concevoir qu’il en coûtera toujours beaucoup plus cher de reprendre des travaux non conformes ou mal faits, plutôt que de les réaliser correctement dès le départ. La différence de coûts se situe de 8 à 15 fois plus élevée, lorsqu’on doit réparer ou reconstruire, dépendamment du type de défauts et de la partie d’immeuble affectée.
Or, ces aspects importants ont été grandement ignorés par le législateur et il faut reconnaître que les mesures mises en place, ces dernières années, ne solutionnent pas les problèmes de façon adéquate, loin de là.
PLUSIEURS DÉCENNIES D’ACTES MANQUÉS, OU PRESQUE
La surveillance obligatoire des chantiers de construction résidentielle a pourtant été abordée à maintes reprises, au cours des récentes décennies, sans jamais se concrétiser.
Dès mars 1996, le Barreau du Québec présentait un mémoire, dans la foulée des orientations générales du Sommet sur l’industrie de la construction de 1993, annonçant la mise en place d’un plan de garantie des constructions résidentielles neuves. Il y soulignait que le projet de règlement à l’étude visait à « répondre aux inquiétudes des con sommateurs face à la qualité trop souvent douteuse de la construction dans le secteur résidentiel et aux nombreuses frustrations qu’ils ont vécues et vivent encore en tentant de faire valoir leurs droits. Mal heureusement, le projet reflète la décision politique d’investir beaucoup plus au niveau curatif que préventif ».
Le cadre restreint de cette consultation ne permettant pas d’aborder de front la surveillance des travaux de construction, celle-ci ne fut donc pas considérée, lors de l’adoption du projet de règlement.
Effectivement, le Règlement sur le plan de garantie de bâtiments résidentiels neufs voyait le jour, en 1999, chapeauté par la Régie du bâtiment (RBQ), sans aborder la surveillance obligatoire des travaux. Depuis le 1er janvier 2015, ce plan de garantie est administré par un organisme sans but lucratif, Garantie de construction résidentielle (GCR), qui a commencé à effectuer certaines inspections, en 2017, et prévoit en faire plus d’ici 2023.
Une surveillance des travaux en cours de chantier permet de mieux assurer que l’ouvrage respecte les plans et devis, ainsi que les normes prévues au Code de construction. Cela contribue même parfois à améliorer le projet.
En 2013, le projet de loi 49, modifiant les ordres professionnels, proposait notamment d’amender le Code civil du Québec pour inclure l’obligation d’un examen de conformité générale des travaux aux plans et devis et aux autres documents ayant servi à les exécuter, pour les travaux relevant de l’exercice de l’architecture et de l’ingénierie. On y définissait un examen de conformité générale des travaux comme « une activité de surveillance qui consiste à vérifier, aux étapes charnières déterminées par le membre de l’Ordre à qui a été confiée la responsabilité de l’effectuer, si les travaux de construction, d’agrandissement ou de modification d’un bâtiment respectent les principales exigences indiquées dans les plans, les devis, les avenants et les rapports d’expertise qui ont servi à les exécuter ».
CE PROJET DE LOI EST CEPENDANT MORT AU FEUILLETON, AVEC LE DÉCLENCHEMENT D’UNE ÉLECTION
En 2018, le projet de loi 401 visait l’adoption de mesures pour améliorer la qualité des bâtiments, en élargissant les pouvoirs réglementaires de la RBQ quant à l’exigence d’une attestation de conformité des travaux de construction au Code de construction et, le cas échéant, aux normes de construction édictées par une municipalité (article 16 du P. L. 401).
Ce projet de loi est également mort au feuilleton. Il fut repris partiellement avec le projet de loi 16 de 2019, qui va améliorer l’encadrement de la copropriété divise, avec notamment l’obligation pour les syndicats de tenir à jour un carnet d’entretien. L’article 16 du projet de loi 401 en fut toutefois omis
Enfin, en 2019, le projet de loi 29 modifiant le Code des professions et d’autres dispositions, entré en vigueur en septembre 2020, révisait la Loi sur les ingénieurs et la Loi sur les architectes, en prévoyant que la surveillance des travaux de construction constitue un acte réservé aux ingénieurs ou aux architectes, selon leur champ de pratique respectif. Cette loi n’a toutefois pas rendu obligatoire la surveillance des travaux de construction pour autant, en dépit des nombreuses demandes en ce sens de la part de ces ordres professionnels.
LE PLAN DE GARANTIE OBLIGATOIRE DE GCR
Certes, le Québec a mis sur pied un plan de garantie obligatoire, administré depuis 2015 par GCR, mais force est d’admettre que sa portée demeure limitée.
Ce plan de garantie ne s’applique pas à l’ensemble des copropriétés divises qui sont construites au Québec. Il ne vise pas, d’une part, les immeubles déjà existants qui sont convertis en copropriété. D’autre part, seules les copropriétés entièrement neuves comptant quatre parties privatives superposées ou moins (sans tenir compte des stationnements ou cases de rangement) sont touchées par ce plan. Bien que ces dernières représentent un fort pourcentage des nouvelles copropriétés québécoises, les travaux de construction de plusieurs autres risquent de n’avoir fait l’objet d’aucune surveillance par un professionnel du bâtiment.
Par ailleurs, ce plan agit surtout en mode curatif, puisque bon nombre des interventions s’effectuent à partir de plaintes formulées après la fin des travaux. L’aspect préventif que constituerait une inspection systématique, à différentes étapes de la construction, demeure absent du plan de garantie.
On compterait en fait, pour l’ensemble des immeubles couverts par ce plan, au minimum une inspection réalisée par un professionnel du plan de garantie, à un moment donné en cours de construction. L’organisme GCR a toutefois mis en place une classification des entrepreneurs, en fonction du nombre de déficiences constatées lors de ses inspections. Il rapporte avoir effectué, en 2020, en moyenne 2,6 inspections par bâtiment détenu en copropriété divise, concentrées autour d’entre preneurs moins bien notés, et prévoit augmenter ce pourcentage d’ici 2023.
Nous sommes cependant loin d’une surveillance obligatoire systématique de tous les chantiers. À titre de comparaison, l’Ontario exige au moins cinq inspections obligatoires, à différentes étapes déterminées au permis de construction. L’entrepreneur ne peut poursuivre les travaux, tant que l’inspection d’une étape antérieure n’en a pas établi la conformité. Cela nous semble la façon la plus logique de procéder.
QUELLE EST LA MISSION DE LA RBQ?
La mission de la RBQ est définie à l’article 1 de la Loi sur le bâtiment, qui chapeaute cet organisme. Selon ses termes, son objectif premier vise la « protection du public », en assurant la qualité des bâtiments et des installations, la sécurité de ce dernier et la qualification des entrepreneurs de construction, en veillant notamment à leur probité et leur solvabilité.
Cette mission de voir à la qualité des travaux et à la sécurité des personnes s’applique dans des domaines variés, soit celui du bâtiment, ainsi que de la plomberie, de l’électricité, des ascenseurs et remontées mécaniques, des appareils sous pression, du gaz ou des équipements pétroliers, des jeux et manèges, des lieux de baignade et, enfin, de l’efficacité énergétique. Pour reprendre une expression chère au général de Gaulle : « Vaste chantier! »
L’ampleur de la tâche se serait-elle avérée trop considérable, en fonction des efforts fournis et des effectifs qu’on y engage? On peut se poser la question. On remarque également que la loi prévoit la possibilité de déléguer certains pouvoirs de la RBQ, notamment aux municipalités, à la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie (CMMTQ) et à la Corporation des maîtres électriciens (CMEQ). C’est aussi le cas avec GCR, en ce qui concerne les immeubles couverts par le plan de garantie obligatoire.
Ces délégations de pouvoirs auraient-elles entraîné un éparpillement des responsabilités en matière d’inspection, voire une dilution des interventions, au détriment du public que l’on est censé protéger? Cette question nous apparaît également pertinente.
Par exemple, en ce qui concerne la qualification des entrepreneurs, le projet de loi 35 de 2011 modifiait la Loi sur le bâtiment, en accordant à la RBQ la possibilité d’imposer une formation continue obligatoire aux entrepreneurs, afin d’assurer la mise à jour de leurs connaissances. Or, un tel système n’avait toujours pas été mis en place, 10 ans plus tard. Ce n’est qu’en 2022 que les entrepreneurs généraux devraient, si tout va pour le mieux, être obligés de suivre 16 heures de formation continue, tous les deux ans.
Un fracassant rapport de la Vérificatrice générale du Québec soulignait d’ailleurs, en juin 2021, de nombreuses lacunes dans le cadre des activités de la RBQ. On y indiquait notamment que celle-ci ne prenait pas tous les moyens appropriés déjà à sa disposition pour vérifier le respect par les entrepreneurs de leurs obligations légales. Par exemple, concernant la mise en oeuvre d’examens pour vérifier leurs compétences, le rapport révélait que la Régie utilise depuis des années les mêmes questionnaires menant à l’obtention d’une licence. Il appert que certains étaient même disponibles via Internet, à des coûts modestes. On apprenait aussi que les antécédents des entrepreneurs n’étaient aucunement vérifiés par la Régie, avant de délivrer une licence.
Le rapport soulevait également le très faible pourcentage d’inspections de chantiers menées par l’organisme, inspections touchant par conséquent peu d’entrepreneurs. De plus, on signalait que la Régie ne prenait pas en charge les entrepreneurs qui accumulaient les non-conformités, afin de redresser la situation. Qui plus est, les inspections portaient souvent sur un seul des domaines de compétence de la Régie (par exemple la plomberie), alors que l’entrepreneur visé effectuait simultanément des travaux dans d’autres domaines d’intervention. Et lorsqu’on dénotait une non-conformité au Code de construction, on se limitait à en exiger la correction, sans inspecter les autres domaines, même s’il s’agissait d’un récidiviste.
La Vérificatrice générale concluait que la RBQ ne protégeait pas présentement les consommateurs de façon adéquate, tout en soulignant que l’organisme réalisait des surplus budgétaires depuis des années.
LA SITUATION EN ONTARIO ET AILLEURS AU CANADA
En Ontario, tout comme dans la plupart des autres provinces canadiennes, la surveillance des travaux de construction résidentielle est obligatoire, pour la grande majorité des bâtiments.
Le Code du bâtiment de l’Ontario prévoit différentes étapes, en cours de construction, nécessitant chacune une inspection obligatoire. Ainsi, la demande de permis de construction doit être accompagnée de tous les plans et dessins prescrits par la municipalité concernée, exécutés par une personne qualifiée, sauf exception (plan d’aménagement et de drainage du terrain, plan de fondation, plan de charpente et de toiture, plans d’élévation, dessins électriques, dessins de plomberie). La délivrance du permis est tributaire d’une vérification de la conformité de ces plans, dessins et cahiers de charge aux exigences du Code du bâtiment et des autres lois applicables.
Chaque phase principale de la construction doit ensuite faire l’objet d’une inspection par les responsables de la construction de la municipalité, afin de s’assurer, à chacune des étapes, de la conformité au Code du bâtiment, au permis délivré ainsi qu’aux plans. Il incombe d’ailleurs au titulaire du permis de communiquer avec la municipalité afin d’organiser les inspections, à chacune des étapes indiquées au permis, selon le type d’immeuble. La ville est pour sa part tenue d’effectuer l’inspection des travaux et toute non-conformité doit être corrigée avant de passer à l’étape suivante.
Les inspections visent notamment l’excavation et les fondations, l’ossature du bâtiment (charpente et structure du toit), son isolation, le système de plomberie, les finitions inté rieures, ainsi que divers autres éléments prévus au Code du bâtiment. Les résultats d’un tel système d’inspection semblent assez probants
L’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) indiquait en août 2019, dans son mémoire présenté à la Commission des institutions, dans le cadre du projet de loi 29 modifiant le Code des profes sions, que les plaintes pour vices de construction sont au moins trois fois plus nombreuses au Québec qu’en Ontario.
Les plaintes québécoises relatives aux vices cachés et vices de construction toucheraient d’ailleurs plus de 7% de toutes les unités d’habitation.
Il en résulterait une frilosité grandissante des assureurs de dommages en ce qui concerne les copropriétés québécoises, en raison d’un taux de sinistralité supérieur au Québec, par rapport à l’Ontario.
Cela entraîne nécessairement des coûts additionnels pour les copropriétés québécoises, qui voient leurs primes et franchises d’assurances gonfler, parfois de façon vertigineuse.
CETTE FOIS-CI SERA-T-ELLE ENFIN LA BONNE?
On apprenait à la mi-octobre que la ministre de l’Habitation du Québec, madame Andrée Laforest, est intervenue auprès des dirigeants de la RBQ, afin que cet organisme soumette, entre autres, un plan détaillé établissant des inspections à des étapes charnières de la construction, en recourant à des attestations de conformité réalisées par des professionnels mandatés pour la surveillance des travaux. On retrouve là sensiblement les termes du projet de loi 49 de 2013 et ceux du projet de loi 401, abandonné en 2018. Reste à voir le fin détail de ce plan.
Les examens de qualification et la formation permanente des entrepreneurs, en vue d’obtention des licences délivrées par la RBQ, devraient aussi être revus, d’ici le printemps 2022, selon les demandes de la ministre.
Enfin, la ministre Laforest désire qu’un projet de règlement rendant obligatoire l’inspection préachat soit publié par la RBQ avant l’arrivée du printemps 2022. Le projet de loi 16 de 2019, entré partiellement en vigueur en janvier 2020, contient des dispositions traitant de la qualification des inspecteurs en bâtiment qui ne sont pas encore en vigueur, dans l’attente d’un règlement de la Régie.
Ces différentes mesures seront-elles mises en place au cours des prochains mois? Et celles qui verront le jour s’avèreront-elles efficaces? Nous osons l’espérer, afin que l’implantation de mesures adéquates fasse que la protection du public soit enfin mieux assurée.
Il est grandement temps que la surveillance des chantiers de construction résidentielle soit instaurée au Québec. La « protection du public » ne doit pas se limiter à des mesures de sécurité visant à empêcher des décès ou des blessures graves. Une protection du public en matière d’habitation se doit d’englober aussi l’aspect « protection du consommateur » et ne pas laisser celuici aux prises avec des entrepreneurs peu soucieux des conséquences économiques de travaux mal effectués. Le fait que les assureurs se montrent de plus en plus frileux à couvrir la copropriété divise, notamment en raison de la piètre qualité de la construction, devrait à lui seul suffire pour que l’on agisse enfin.
Une surveillance bien structurée des chantiers résidentiels ne retarde pas l’échéancier des travaux, contrairement aux prétentions d’entrepreneurs ou d’associations d’entrepreneurs. Une surveillance des travaux en cours de construction permet d’en valider la conformité, au fur et à mesure de leur avancement. Cela permet d’évaluer la qualité des matériaux, de détecter les divergences par rapport aux plans et devis, de repérer les défauts et les corriger immédiatement, plutôt que de refiler les problèmes et la facture aux consommateurs.
Si l’Ontario peut superviser et contrôler ses chantiers de construction résidentielle depuis des années, il devient très difficile d’accepter encore longtemps le maintien du statu quo au Québec.
La province aurait d’ailleurs tout intérêt à mettre en place, en plus de la surveillance des travaux, un plan de garantie obligatoire universel applicable à toutes nouvelles copropriétés divises. Ainsi, tant l’aspect préventif que le côté curatif seraient couverts. Avec une surveillance adéquate des travaux, les déficiences seraient beaucoup moins nombreuses et les réclamations de moindre envergure. Il en résulterait une diminution des risques, tant pour les gestionnaires du plan de garantie que pour les assureurs, une fois l’immeuble construit.
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