Le projet de loi 8 décortiqué pour vous
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RÉFORME INATTENDUE ET PRÉCIPITÉE DE LA PROCÉDURE CIVILE EN COUR DU QUÉBEC : LE PROJET DE LOI 8 DÉCORTIQUÉ POUR VOUS
par Me Michel Paradis
Les médias font grand état de l’engorgement des tribunaux et des délais d’attente qui s’éternisent. Si les tribunaux criminels et pénaux ont été particulièrement ciblés depuis l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada (qui fixe le délai maximal entre le dépôt d’une accusation et la tenue d’un procès à 18 mois pour une cour provinciale et à 30 mois pour les cours supérieures), la justice civile devient elle aussi, depuis la pandémie particulièrement, victime des retards du système.
Dans un mouvement impétueux et soudain de réforme législative, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a récemment déposé le projet de loi 8 : Loi visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l’arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec. Ce projet de loi, un peu précipité, selon nous, est certainement bien intentionné ; sa philosophie nous rassure, mais certaines de ses modalités nous inquiètent. Ce projet de loi est certainement bien intentionné, sa philosophie, rassurante, mais son dépôt semble précipité considérant son importance, son ampleur et les désirs des acteurs de la communauté juridique.
Essentiellement, ce projet de loi prévoit, dans l’ordre de ses articles :
- L’ajout d’une compétence concurrente entre la Cour du Québec et la Cour supérieure (pour les réclamations entre 75 000 $ et 100 000 $, le demandeur choisit);
- Des règles de procédures simplifiées à la Cour du Québec;
- L’obligation de recourir à la médiation pour les dossiers de 5 000 $ et moins (puis éventuellement tous les dossiers) aux petites créances et la recommandation de se tourner vers un arbitrage conventionnel plutôt que vers la Cour;
- L’ajout de certaines obligations pour le Conseil de la magistrature (qui veille au respect des règles déontologiques et au développement des connaissances des juges nommés par le gouvernement du Québec);
- L’accès aux notaires à la magistrature, ce qui signifie que les notaires pourraient être nommés juges sous certaines conditions.
En regard à la copropriété, les règles de procédures simplifiées à la Cour du Québec et les modifications aux procédures à la Division des petites créances de la Cour du Québec concernent particulièrement les syndicats de copropriété et copropriétaires.
Médiation obligatoire et l’arbitrage recommandé à la Division des petites créances
La question se pose d’emblée : lorsqu’un syndicat réclame des charges à un copropriétaire aux petites créances, le syndicat n’a aucune marge de manœuvre pour renoncer à une partie des charges et donc, quel compromis pourrait être fait par le syndicat ? En effet, à moins d’une erreur de calcul ou d’une erreur de répartition selon les quotes-parts, le syndicat ne peut renoncer à quelques charges que ce soit en règlement d’un dossier.
Cependant, le syndicat peut certainement considérer les revendications qui seraient faites par un copropriétaire refusant de payer ses charges (travaux non exécutés par le syndicat qui l’affectent personnellement, problème d’adoption légale du budget, dépenses du syndicat non autorisées selon la déclaration, etc.). Une médiation avec un spécialiste en droit de la copropriété aura alors certainement son utilité de deux manières. D’abord, pour convaincre le copropriétaire que le paiement des charges, légalement cotisées, est incontournable et qu’aucun compromis ne peut être fait par le syndicat. Également, pour voir si certaines revendications du copropriétaire peuvent être justifiées, non pas en réduction de ses charges, mais bien selon les obligations du syndicat prévues à la déclaration de copropriété et au Code civil du Québec.
La médiation obligatoire permettrait alors de régler, à court terme, plusieurs dossiers de litige de copropriété.
Le recours à l’arbitrage, en cas d’échec de la médiation, pourra avoir deux avantages : réduire les délais avant une audition et faire décider le droit du dossier par un expert spécialiste dans le domaine de la copropriété.
Règles de procédures simplifiées à la Cour du Québec
Pour y voir clair, les nouvelles règles simplifiées du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.) que le ministre a prévu d’appliquer, à la date de mise en vigueur de la loi, sont présentées ci-dessous. Ces dispositions s’appliqueront pour les causes procédant à la Cour du Québec seulement. La version finale pourrait différer, selon le texte final qui pourra être adopté.
PROTOCOLE DE L’INSTANCE
La préparation d’un protocole de l’instance n’est pas requise (art. 535.2 C.p.c.). Si un protocole de l’instance est établi, il doit contenir un maximum de cinq pages (art. 535.3 C.p.c.).
LA DEMANDE (art. 535.4 C.p.c.)
Le demandeur doit, dans les 20 jours de la signification de l’avis d’assignation, déposer au greffe :
- Un avis indiquant la nature et le nombre des témoignages par déclaration qu’il entend déposer;
- La nature et le nombre des interrogatoires préalables auxquels il entend procéder et des expertises dont il entend se prévaloir pour que le tribunal les autorise, le cas échéant.
Il doit également, dans le même délai, communiquer au défendeur les pièces au soutien de sa demande.
LES MOYENS PRÉLIMINAIRES (art. 535.5 C.p.c.)
Les moyens préliminaires et les incidents doivent être dénoncés par écrit à l’autre partie, puis être déposés au greffe dans les 45 jours de la signification de l’avis d’assignation. L’autre partie peut, dans les 10 jours de la dénonciation, présenter ses observations par écrit.
À l’expiration du délai, une demande en rejet de l’instance fondée sur un moyen déclinatoire ou d’irrecevabilité peut être refusée sur le vu du dossier et une demande de suspension de l’instance résultant d’un moyen préliminaire ou d’un incident peut être décidée sur le vu du dossier.
LA DÉFENSE (art. 535.6 C.p.c.)
Le défendeur doit, dans les 95 jours de la signification de l’avis d’assignation, déposer au greffe :
Un exposé sommaire, d’au plus deux pages, des éléments de sa contestation (sept si demande reconventionnelle);
Un avis indiquant la nature et le nombre des témoignages par déclaration qu’il entend déposer;
La nature et le nombre des interrogatoires préalables auxquels il entend procéder et des expertises dont il entend se prévaloir pour que le tribunal les autorise, le cas échéant.
Il doit, dans le même délai, communiquer au demandeur les pièces au soutien de la défense.
LA CONFÉRENCE DE GESTION DE L’INSTANCE (art. 535.8 C.p.c.)
Tenue au plus tard dans les 110 jours de la signification de l’avis d’assignation, cette conférence a lieu à distance, sauf si le tribunal exige qu’elle soit en présence, et les parties sont tenues d’y assister si le tribunal l’exige. Elle mène ensuite à…
LA CONFÉRENCE DE RÈGLEMENT À L’AMIABLE (art. 535.12 C.p.c.)
Tenue au plus tôt 130 jours à compter de la signification de l’avis d’assignation et au plus tard 160 jours à compter de cette signification.
OU LA CONFÉRENCE PRÉPARATOIRE À L’INSTRUCTION (art. 535.12 C.p.c.)
Une conférence préparatoire à l’instruction est tenue si :
- Aucun règlement à l’amiable n’intervient;
- Au consentement des parties, s’ils ont déjà participé à une conférence de règlement à l’amiable;
- Le tribunal estime qu’il doit en être ainsi.
Lors de la conférence, les parties procèdent en outre à la mise en état du dossier.
MODE PRIVÉ DE PRÉVENTION ET DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Une demande sera instruite en priorité si elle respecte l’une des conditions suivantes (art. 7 C.p.c.) :
En toute matière autre que familiale, la demande est accompagnée d’une attestation confirmant que les parties ont eu recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou d’une preuve qu’elles ont convenu d’un protocole préjudiciaire.
Une attestation qui confirme qu’elle s’est présentée à un service d’aide aux personnes victimes en invoquant être une personne victime de violence conjugale ou sexuelle de la part de l’autre partie est déposé au greffe.
VOLONTÉ DE PRIVILÉGIER LA MÉDIATION OU L’ARBITRAGE
Les parties doivent privilégier la médiation ou l’arbitrage pour régler leur litige (art. 556 C.p.c.).
Si les parties s’entendent: elles déposent au greffe un avis que le dossier a fait l’objet d’un règlement à l’amiable. L’entente entérinée par le greffier spécial ou le tribunal équivaut à un jugement.
Si les parties ne s’entendent pas: le greffier, dans les cas et selon les conditions et modalités prévues par le règlement du gouvernement pris en application de l’article 570, leur offre un arbitrage, sans frais supplémentaires, par un arbitre accrédité. La sentence arbitrale est publique. Elle est transmise aux parties et déposée au greffe.
La médiation encouragée avant d’entamer un recours et l’obligation des parties de participer à une conférence de règlement à l’amiable, avant qu’un juge ne décide de la cause, constituent des côtés positifs de la réforme. De surcroît, ceux qui auront tenté sérieusement de régler, mais auront échoué en raison de la position déraisonnable de l’autre partie, se verront récompensés par la priorisation de la tenue de leur procès sur le rôle d’audience.
Toutefois, la réduction à outrance des délais judiciaires pour entamer et compléter un dossier prêt à être jugé (de 180 jours à 110 jours), la limitation des droits des justiciables d’exprimer par écrit leurs revendications et les faits qu’ils veulent établir constituent des points faibles de cette réforme. Les avocats devront consacrer beaucoup de temps à accélérer la collaboration des parties, des experts, des sténographes, et des tiers qui auraient des documents nécessaires à la preuve, ce qui fera nécessairement augmenter les coûts de préparation des dossiers. Le ministère de la Justice semble par ailleurs indiquer aux justiciables que l’expression de la justesse de leurs droits devrait être limitée en nombre de lignes et de mots dans leurs procédures. Ceci nous semble absurde et surtout, contraire à ce que prévoit l’article 99 du Code de procédure civile du Québec, qui n’a pourtant pas été amendé. Nous citons cet article : « L’acte de procédure doit indiquer tout ce qui, s’il n’était pas énoncé, pourrait surprendre une autre partie ou soulever un débat imprévu. » Lors de la dernière réforme de la procédure civile, les avocats demandaient que le principe de la transparence entre les parties soit rappelé dans le Code ; la réforme actuelle nous apparaît inconciliable avec ce principe en limitant la rédaction des procédures en nombre de mots…
Le dépôt d’un projet de loi est la première d’une longue série d’étapes dans un processus politique et juridique menant à son adoption et sa mise en vigueur par voie réglementaire. À chaque étape, le RGCQ sera à l’affût au nom des copropriétaires, des syndicats et des gestionnaires, jusqu’à ce que les textes finaux soient adoptés pour vous accompagner vers l’entrée en vigueur.
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