Effondrements d’immeubles : un drame marseillais qui interpelle aussi le Québec
Négliger l’entretien d’une copropriété n’est pas seulement un risque financier, c’est aussi un risque humain.

Nouvelles
Le 5 novembre 2018, un immeuble situé au 65 rue d’Aubagne, à Marseille, s’est effondré, entraînant avec lui un bâtiment voisin appartenant à la Ville. Le bilan est tragique : plusieurs personnes perdent la vie. Ce drame, devenu emblématique de la crise du logement en copropriété en France, a récemment connu un dénouement judiciaire marquant. Plusieurs personnes impliquées ont été reconnues coupables : des copropriétaires, un gestionnaire, le représentant légal de la copropriété (appelé syndic en France — soit l’équivalent du gestionnaire québécois ou d’un administrateur), des experts mandatés par la Ville ainsi que des élus locaux. Certains ont même écopé de peines de prison.
La faute? Avoir sciemment bloqué la réalisation de travaux pourtant jugés urgents, dans un contexte de dégradation avancée du bâtiment. L’un des copropriétaires condamnés, également avocat du syndic, aurait utilisé son influence pour empêcher l’adoption des résolutions requises afin d’éviter d’en assumer les coûts. L’immeuble, dans un état alarmant, abritait des locataires vulnérables : infiltrations, planchers instables, électricité défectueuse, moisissures et infestation s’ajoutaient à un risque connu d’effondrement.
Une réalité qui résonne jusqu’au Québec
Si aucune tragédie comparable ne s’est encore produite au Québec, plusieurs cas démontrent que nous ne sommes pas à l’abri. Des affaissements de structures, des infiltrations répétées, des balcons détériorés ou des stationnements souterrains fragilisés témoignent d’un parc bâti vieillissant, particulièrement dans les copropriétés construites entre 1980 et 2000. Dans certains immeubles, des travaux jugés essentiels par des experts sont repoussés ou refusés sous prétexte que les copropriétaires ne veulent pas payer.
Parfois, des administrateurs proactifs sont même écartés par l’assemblée, remplacés par des personnes plus soucieuses de maintenir les charges basses que de respecter les obligations légales. Cette dynamique freine les interventions nécessaires, au détriment de la sécurité des résidents. Pourtant, le Code civil du Québec est sans équivoque : en vertu de l’article 1039, le syndicat de copropriété a le devoir de veiller à l’entretien et à la conservation de l’immeuble.
Des drames survenus ailleurs viennent renforcer ce constat. En 2021, la tour Champlain Sud, une copropriété de Surfside, en Floride, s’est effondrée, faisant 98 victimes. L’enquête a révélé une corrosion avancée de la structure et des réparations recommandées mais sans cesse repoussées. En 2022, à Lille, un immeuble s’effondre malgré qu’un locataire ait donné l’alerte la veille. Un décès est à déplorer, et une enquête a été ouverte pour évaluer les responsabilités des copropriétaires et de la municipalité.
Depuis plusieurs années, le RGCQ, Condolegal.com et d’autres intervenants du milieu tirent la sonnette d’alarme quant à la précarité de certaines copropriétés québécoises. Malgré les études, les rapports et les avis professionnels, les travaux sont trop souvent retardés faute d’un consensus ou d’un financement suffisant. Le fonds de prévoyance, lorsqu’il existe, est souvent inadéquat.
La réglementation se renforce, mais la conscience doit suivre
Pour pallier ces lacunes, le gouvernement du Québec a publié, le 11 septembre 2024, un projet de règlement inspiré des projets de loi 16 et 31. Ce règlement, qui devrait entrer en vigueur prochainement, vise à renforcer la transparence, la planification et la rigueur dans la gestion des copropriétés.
Trois obligations centrales y sont introduites :
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La révision obligatoire du carnet d’entretien tous les cinq ans, afin d’assurer que les composantes de l’immeuble font l’objet d’un suivi régulier et documenté;
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Une étude du fonds de prévoyance fondée sur un horizon de 25 ans, pour permettre une planification réaliste des sommes à accumuler en vue des travaux majeurs;
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Une attestation obligatoire à remettre lors de la vente d’une unité, qui offrira à l’acheteur un portrait clair de l’état de l’immeuble et de sa situation financière.
Ces mesures visent à instaurer une culture de prévention durable et à réduire la dépendance des décisions aux aléas des votes en assemblée. Car au-delà des outils réglementaires, c’est une prise de conscience collective qu’il faut encourager : la gestion d’un immeuble ne peut reposer uniquement sur la volonté d’économiser à court terme.
Les tragédies de Marseille, Surfside et Lille nous rappellent que l’inaction peut mener à l’irréparable. Bien que la majorité des syndicats québécois assument leurs responsabilités, certaines copropriétés affichent des signes préoccupants de négligence. Il ne s’agit pas d’une simple question budgétaire, mais d’une responsabilité légale. Si nous tardons à agir, le Québec pourrait, lui aussi, être confronté à une tragédie évitable.
Par Me Yves Joli-Coeur, avocat émérite, président du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ)
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