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À quand la professionnalisation des gestionnaires?

Condoliaison

Lors de la réforme du Code civil du Québec, en 1994, le législateur a introduit dans notre droit une notion nouvelle directement inspirée de la loi française, un « syndicat de copropriétaires », doté de la personnalité juridique.

Cette entité s’est alors vu confier comme principales missions l’entretien et la conservation de l’immeuble, l’administration des parties communes, ainsi que la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble et à la copropriété.

Contrairement à la France, cependant, le Québec n’a pas choisi d’introduire aussi la fonction de syndic dans notre système de droit. Il a plutôt opté pour un modèle corporatif et a réparti les pouvoirs décisionnels du syndicat entre deux composantes : un conseil d’administration, dont les membres sont considérés comme mandataires du syndicat et sont appelés à gérer ses affaires de façon continue, et une assemblée des copropriétaires, qui se réunit au moins une fois l’an, mais qui ne dispose pas de pouvoirs étendus, contrairement à ce qui prévaut en France.

Notre législateur a cependant prévu la possibilité pour les membres du conseil d’administration d’alléger plus ou moins leur charge de travail, en déléguant l’administration courante du syndicat à un « gérant », choisi ou non parmi les copropriétaires. Mentionnons, d’une part, que le fait de confier certaines tâches administratives à un gérant ne diminue en rien la responsabilité des administrateurs. D’autre part, l’article 1085 C.c.Q. précise que le gérant agit à titre d’administrateur du bien d’autrui chargé de la simple administration, sans fournir plus de détails.

Or, après plus de 25 ans, force est d’admettre qu’un flou persiste autour de cette notion de « gérant » et que la grande majorité des copropriétaires et administrateurs parlent plutôt d’un « gestionnaire », quand il est question de s’adjoindre les services d’une personne ou d’une entreprise de gestion immobilière. Et au-delà de cette sémantique, il y a également lieu de reconnaître que d’importantes lacunes existent, de façon générale, parmi ces fournisseurs de services, alors que la protection du public vivant en copropriété exigerait qu’une dose de professionnalisme y soit insufflée.

La grande majorité des administrateurs de syndicat agissent de manière bénévole et, en dépit de leur bonne volonté, ne possèdent souvent aucune connaissance concrète en matière de gestion d’un patrimoine immobilier, alors que le système leur impose de lourdes responsabilités et un fardeau de plus en plus complexe. À preuve la quantité importante de copropriétés confrontées à des démissions d’administrateurs et à l’absence de candidats se portant volontaires pour occuper ces postes. Or présentement, faire appel à un gérant ou à un gestionnaire ne règle pas automatiquement tous les problèmes. De ce côté-là aussi, on relève d’importantes lacunes.

Bon nombre de personnes et d’entreprises offrent des services de gestion immobilière soit à des syndicats de copropriétaires, soit à des propriétaires d’immeubles locatifs. Or, même si certains d’entre eux sont appelés à gérer des budgets d’exploitation considérables et à poser des gestes lourds de conséquences, force est de constater une absence de tout mécanisme de contrôle de qualité des services offerts et de mesures garantissant leurs prestations, que ce soit une formation obligatoire préalable à l’obtention d’un per mis d’exercice, des obligations en matière d’éthique et de déontologie, ou un régime d’indemnisation, advenant malversation, faute lourde ou erreur grossière.

 

LES TÂCHES D’UN GESTIONNAIRE

Les tâches d’un gérant (ou d’un gestionnaire) de copropriété varient énormément selon les besoins et les circonstances particulières à chaque syndicat. Ces tâches peuvent être limitées à l’une ou l’autre des charges suivantes, soit administratives, financières ou d’intendance, ou encore englober les trois, selon le cas.

Les tâches administratives peuvent inclure notamment la préparation de rapports d’exploitation, de dossiers de secrétariat et d’assurances, ainsi que l’ensemble des documents requis pour la tenue des assemblées de copropriétaires et des réunions du conseil d’administration.

Les tâches financières peuvent comprendre la tenue des livres comptables, la conciliation bancaire, la préparation du budget, la perception des charges communes (incluant les contributions aux fonds de prévoyance et d’autoassurance), pour ne nommer que celles-là. Lorsqu’une copropriété compte un grand nombre de copropriétaires, cela peut devenir une tâche très lourde et impliquer la manipulation d’importantes sommes d’argent.

Quant aux fonctions d’intendance technique reliées à l’entretien de l’immeuble, elles concernent la tenue du carnet d’entretien et des études du fonds de prévoyance, l’analyse et l’octroi de contrats aux fournisseurs, la préparation de soumissions et offres de service et diverses autres tâches connexes visant l’entretien ou la conservation de l’immeuble.

Toutes ces tâches requièrent d’un gérant ou gestionnaire des connaissances et de la compétence, ainsi que du tact et de l’entregent. Or présentement, n’importe qui, ou presque, peut s’improviser gestion naire de copropriété. Il n’existe au Québec aucune exigence en matière de permis, aucune obligation en matière de formation ou de maintien des acquis, aucun organisme réglementaire pour superviser, voire sanctionner les prestations, aucune norme ou aucun mécanisme de contrôle de qualité ou d’indemnisation.

Certes, le législateur a introduit récemment l’obligation pour les syndicats de souscrire une assurance responsabilité civile couvrant le « gérant », mais cette exigence suffit-elle à protéger adéquatement les copropriétaires, voire des tiers? Il est permis d’en douter, compte tenu notamment des limitations et exclusions que comportent habituellement les contrats d’assurance.

 

DES DEMANDES NOMBREUSES ET RÉPÉTÉES

Ce n’est pas d’hier que les intervenants du milieu formulent des demandes afin d’améliorer la qualité de la gestion des copropriétés et de mettre en place des mesures de contrôle, notamment en obligeant les administrateurs de syndicats et les gestionnaires de suivre des cours de formation, comme l’exige maintenant l’Ontario.

Le RGCQ prône depuis sa création la nécessité d’encadrer la fonction de gestionnaire de copropriété, alors que des représentations ont été maintes fois formulées auprès du gouvernement québécois, pour qu’il mette en place diverses mesures, conditions et exigences requises pour l’octroi et la conservation de permis pour occuper cette fonction.

En juin 2018, madame Lise Thériault, ministre responsable de la Protection des Consommateurs et de l’Habitation, déposait à cet effet le projet de loi 401 visant notamment la préservation et la saine gestion du parc immobilier en copropriété divise. Ce projet de loi aurait introduit un nouvel article 1085.1 au Code civil du Québec, se lisant comme suit : « Toute personne qui exerce le métier de gérant de copropriété doit être membre d’un ordre professionnel déterminé par règlement du gouvernement ou avoir complété avec succès une formation reconnue par ce règlement. Dans le cas d’une personne morale, d’une société ou d’une fiducie, cette condition s’impose alors aux personnes physiques qui exercent pour son compte les fonctions de gérance.

« Le règlement peut assujettir l’exercice des fonctions de gérant de copropriété à d’autres conditions ou en permettre l’exercice à des conditions différentes et préciser les modalités d’exercice de ces fonctions. »

Bien que perfectible à bien des égards, l’introduction d’un texte de ce genre aurait constitué un pas dans la bonne direction. Or, cet article n’a jamais été sanctionné puisque le projet de loi 401 est mort au feuilleton, à l’expiration de la session parlementaire précédant les élections. Et le projet de loi 16, qui visait à remplacer le projet de loi 401, ne contenait plus le texte ci-dessus. En fait, le projet de loi 16, sanctionné en janvier 2020, ne comportait aucune mesure spécifique concernant les compétences requises pour effectuer de la gestion de copropriétés divises.

De telles mesures nous apparaissent toujours nécessaires pour assurer une protection adéquate du public en copropriété divise, comme on en retrouve dans plusieurs provinces canadiennes.

 

CE QUI SE FAIT DÉJÀ AILLEURS

En Ontario, à titre d’exemple, la Loi de 2015 sur les services de gestion de condominium impose aux entreprises et aux individus qui opèrent en matière de gestion de copropriétés de détenir un permis délivré par l’Office ontarien de réglementation de la gestion des condominiums (OORGC) pour être autorisés à offrir leurs services. Cet organisme tient un registre public des gestionnaires et sa mission vise à assurer que seules les personnes qualifiées ayant suivi les cours de formation obligatoires exercent dans le domaine. L’Ontario prévoit une période de stage obligatoire, sous forme de permis restreint, permettant à son titulaire d’offrir des services de gestion uniquement sous la supervision d’un pair titulaire d’un permis régulier. Outre ces dispositions, l’Ontario a aussi doté cet organisme de pouvoirs de contrôle et de supervision des détenteurs de permis, qui sont soumis à un code de déontologie et peuvent faire l’objet de plaintes entendues par un comité de discipline.

En Alberta, le Residential Property Manager Industry Council a notamment établi des normes d’admissibilité et des exigences pour obtenir un permis d’exercice de gestionnaire. Des examens de formation à la licence, portant entre autres sur les principes fondamentaux de la gestion de copropriété et la pratique de cette gestion, devront avoir été réussis d’ici le 1er décembre 2022.

En Colombie-Britannique, tout gestionnaire de copropriété (appelées strata) doit être titulaire d’un permis d’exercice renouvelable tous les deux ans, sauf les propriétaires de lot effectuant de l’autogestion. C’est le British Columbia Financial Services Authority (BCFSA), une agence gouvernementale assimilable à notre AMF et à l’OACIQ, qui a la responsabilité de superviser et réglementer tout le secteur des services financiers, ce qui comprend les courtiers immobiliers et les gestionnaires de copropriété. Là aussi, des cours de formation sont obligatoires, ainsi que de la formation continue, et les gestionnaires sont soumis notamment à des règles de déontologie.

Ne serait-il pas temps que le Québec emboîte le pas en ce sens?

 

Condoliaison 23-3 Automne 2022